Taxe GAFA : pourquoi fait-elle débat ?

Retour sur les différentes modalités et l’opportunité d’une Taxe GAFA

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Alors que l’Europe discute actuellement de la création d’une taxe sur les services numériques, la France vient d’annoncer son intention d’adopter rapidement sa propre taxe GAFA. Un projet de loi pourrait être présenté le mois prochain avant d’être soumis au Parlement en mars. A peine l’annonce faite par Bruno Le Maire, l’OCDE a indiqué à son tour, qu’un accord sur la taxation internationale des géants du numérique, pourrait entrer en vigueur dès 2020.

Pas facile de s’y retrouver. Pourtant cette taxe concerne directement le e-commerce. Car si les ventes en propre ne sont pas visées, nombreux sont les sites marchands qui ont développé, en parallèle de leurs activités commerciales de vente, des offres de services visées par la nouvelle taxe, telles que l’intermédiation ou publicité en ligne. Par ailleurs, de très nombreux sites e-commerce font appel à ce genre de services.

La présente note a pour but de détailler ces récentes initiatives en matière de taxation qui font aujourd’hui débat en France et dans toute l’Europe. Pour mieux comprendre, il convient d’avoir en tête le contexte dans lequel elles s’inscrivent.

La taxe GAFA a d’abord fait son apparition dans un ensemble de deux propositions législatives présentées par la Commission européenne en mars 2018 :

La première vise à réformer l’impôt sur les sociétés pour les entreprises numériques, de sorte que les bénéfices soient imposés là où se situe leurs activités et non plus là où se situe leur siège social. Cela constitue la solution à long terme. C’est aussi celle qui est privilégiée par la Commission.

La deuxième proposition répond à la demande de plusieurs États membres, dont la France, en faveur de la mise en place rapide d’une taxe couvrant des activités numériques échappant à l’impôt ou bénéficiant d’une fiscalité avantageuse du fait de leur domiciliation fiscale.

La réforme européenne de l’impôt sur les sociétés pour les entreprises du numérique

Cette première proposition doit permettre aux États membres d’imposer les bénéfices générés par une activité numérique sur leur territoire, même lorsque l’entreprise concernée n’y est pas physiquement présente. Une entreprise est considérée comme ayant une «présence numérique » imposable ou un « établissement stable virtuel » dans un État membre dès lors qu’elle remplit l’un des trois critères suivants :

  • plus de 7 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel dans un État membre ;
  • plus de 100 000 utilisateurs dans un État membre au cours d’une année d’imposition
  • Plus de 3 000 contrats commerciaux de services numériques passés entre l’entreprise et les utilisateurs professionnels au cours d’une année d’imposition.

Les nouvelles règles modifient également la manière dont les bénéfices sont répartis entre les États membres, l’idée étant d’établir un lien entre le lieu où les profits numériques sont réalisés et là où ils sont taxés.

Cette mesure s’inscrit, par ailleurs, dans le cadre d’une réforme plus large de l’impôt sur les sociétés, visant à instaurer une assiette commune consolidée pour les sociétés multinationales (ACCISC), initiative déjà proposée par la Commission en vue d’affecter les bénéfices des grands groupes multinationaux de manière à mieux refléter le lieu où la valeur est créée.

La DST ou taxe GAFA européenne

La deuxième proposition, présentée par la Commission en mars 2018, consiste à instaurer une nouvelle taxe provisoire appelée Digital Service Tax (DST). La DST s’applique à certaines activités numériques qui échappent à l’impôt dans l’UE ou dont le niveau d’imposition est minimisé, grâce au jeu des règles de la fiscalité internationale. Par exemple, lorsque l’entreprise est fiscalement domiciliée dans un État dotée d’une fiscalité attractive pour l’ensemble de ses activités numériques. Il s’agit là d’une mesure temporaire, destinée à être appliquée en attendant l’adoption de la réforme de l’impôt sur les bénéfices.

Dans sa proposition initiale[1], cette taxe concerne trois types d’activités imposables :

  • la vente d’espaces publicitaires en ligne ;
  • les services d’intermédiation en vue de la vente de biens et de services, autrement dit les marketplaces ;
  • la vente de données générées à partir d’informations fournies par l’utilisateur.

La taxe doit s’appliquer aux entreprises dont i) le chiffre d’affaires UE sur les activités numériques imposables dépasse 50 millions d’euros et ii) le chiffre d’affaires mondial excède 750 millions d’euros.

Le montant de la taxe correspond à 3% du chiffre d’affaires (et non des bénéfices), déductible de l’assiette de l’impôt sur les sociétés. Selon les calculs de la Commission, cette taxe devrait rapporter 5 milliards d’euros à l’échelle de l’Union européenne. La collecte se fera par les États membres où sont situés les utilisateurs.

La date d’entrée en vigueur de la taxe est encore incertaine. Initialement, la taxe devait entrer en vigueur en 2020 pour disparaître une fois la réforme de l’impôt sur les sociétés numériques adoptée (« sunset clause »). Dans une version plus récente, il a été proposé de fixer une date butoir, à partir de laquelle la taxe temporaire s’appliquera, faute d’adoption de la solution long terme (« sunrise clause »).

Cette proposition est actuellement en discussion au Conseil de l’Union. Si elle bénéficie du soutien de plusieurs États, dont la France, elle continue de se heurter à l’opposition d’autres pays parmi lesquels l’Irlande, le Luxembourg, le Danemark et la Suède. La règle en matière de fiscalité européenne étant celle de l’unanimité, cette taxe ne peut donc être adoptée, tant qu’elle ne sera pas validée par l’ensemble des États membres.

Les discussions lors de la dernière réunion des Ministres des finances et de l’économie, n’ayant pas permis de trouver un accord, le sujet devrait à nouveau être abordé lors d’une prochaine réunion ECOFIN d’ici mars prochain.

La TSN ou « taxe GAFA » à la Française

Face aux difficultés rencontrées au niveau européen, la France a annoncé qu’en l’absence d’accord en mars prochain, elle mettrait en place sa propre taxe sur les services numériques (TSN). Autrement dit une taxe GAFA à la française.

Selon les récentes déclarations de Bruno Le Maire, cette taxe se rapprocherait du modèle européen avec cependant des différences notables au niveau des seuils. Seraient concernées, selon nos dernières informations et en gardant à l’esprit que ces propositions peuvent encore évoluer :

les entreprises dont i) le chiffre d’affaires France sur les activités numériques imposables dépasse 25 millions d’euros et ii) le chiffre d’affaires mondial sur les activités imposables excède 750 millions d’euros.

Par ailleurs, le taux pourrait évoluer par tranches avec un taux maximal de 5%. Si l’hypothèse d’une franchise ne semble pas avoir été retenue (il s’agirait de payer à partir du premier euro), des taux différenciés selon la tranche sont bien prévus. Le rendement de la taxe est par ailleurs estimé à 500 millions.

Enfin, on retiendra que la TSN devrait être rétroactive et s’appliquer sur le chiffre d’affaires réalisé à compter du 1er janvier 2019.

La France n’est pas le seul pays européen à avoir annoncé sa volonté d’avancer au niveau national faute d’accord européen. Le Royaume Uni, l’Espagne, l’Italie et l’Autriche pourraient lui emboîter le pas.

Que faut-il penser de l’idée d’une taxe sur les services numériques ? Quelles sont les réserves qui peuvent être formulées?  

 La recherche d’une plus grande équité fiscale entre acteurs économiques opérant sur un même marché, tout comme la volonté des Etats de lutter contre l’érosion fiscale liée aux stratégies d’optimisation fiscale, constituent un objectif social et économique souhaitable.

A cet égard, la volonté de réformer les règles en matière de fiscalité des entreprises multinationales, notamment par le biais de la création d’un lien plus étroit entre le lieu d’imposition et celui de la création de valeur, répond à une attente légitime de la part de nombreux Etats, dont la France.

Et les travaux engagés au niveau de l’OCDE à travers le programme BEPS (Base Erosion Profit Shifting), tout comme le projet ACCISC de l’Union européenne, vont dans le sens souhaité. Contrairement à ce qui est parfois indiqué, ces projets ne sont pas de simples promesses. Ils correspondent à des travaux engagés au niveau de ces deux institutions et des progrès ont été enregistrés ces deux dernières années.

Alors, faut-il agir plus vite en adoptant dès maintenant une « taxe GAFA » sur les revenus de certaines activités numériques, comme l’envisagent l’Europe, certains pays comme la France et même, plus récemment, l’OCDE ?

D’une manière générale, plusieurs réserves sont formulées à l’encontre de cette taxe.

D’une part, quant au fait qu’elle pourrait contribuer à différer l’adoption des mesures structurelles, par nature plus complexes, l’existence d’une solution court terme permettant de prolonger dans le temps les discussions sur le long terme.

D’autre part, parce que le montant de la taxe devrait se répercuter sur le prix des services concernés (publicités, intermédiation, ventes de données …), ce qui revient à taxer les utilisateurs de ces services, parmi lesquels figurent majoritairement les PME/TPE et les consommateurs européens. Dans une récente étude, le Cabinet PWC estime que le projet de TSN en Espagne (comparable à la TSN française) devrait faire perdre entre 586 M€ et 662 M€ au PIB espagnol en raison de son impact sur les entreprises et les consommateurs.

Enfin, le risque c’est aussi que la taxe pénalise les entreprises européennes, notamment du fait qu’elle s’applique au chiffre d’affaires sans tenir compte de la situation bénéficiaire ou non de l’entreprise. Cela pourrait donc constituer un frein majeur pour les entreprises Tech en fort développement qui ne sont pas encore profitables. Pour cette raison, le projet de TSN au Royaume Uni, limite la taxe aux seules entreprises bénéficiaires.

A cela s’ajoute le risque de double imposition pour les entreprises soumises à la taxe sur les services numériques et qui seraient déjà taxées sur les bénéfices.

Il est donc essentiel, quel que soit le niveau de réponse envisagée (national, européen ou international), de veiller à s’assurer que les mesures engagées ne se retournent pas contre les entreprises en développement, ni contre celles qu’on entend protéger contre les effets de l’optimisation fiscale.

La FEVAD restera particulièrement attentive aux prochains développements autour de la mise en place de ces différentes initiatives. Pour toute information concernant l’impact de la taxe GAFA sur votre activité e-commerce, n’hésitez pas à nous contacter.

[1] Ce champ d’application pourrait cependant évoluer. Des propositions ont été faites par la France et l’Allemagne en décembre dernier pour limiter l’assiette à la publicité en ligne