La Loi contre la fraude vient d’être adoptée par le Parlement [1]. Elle devrait prochainement être promulguée. Le texte comporte deux mesures spécifiques aux plateformes prévues aux articles 10 et 11.
La première d’entre elles concerne les obligations d’information vis-à-vis des vendeurs et de l’Administration. La mesure n’est pas nouvelle. Ces deux obligations ont été adoptées tour à tour en 2015, puis en 2016 (cf. communiqué de presse Fevad). L’article 10 vient regrouper en un seul et même article, les dispositions relatives à l’information des vendeurs et celles qui concernent l’information de l’Administration. Il s’inspire en partie de la consultation menée par la DGFIP autour de l’article 242bis du CGI.
La deuxième mesure est, quant à elle, inédite. L’article 11 met en place une procédure de signalement des vendeurs soupçonnés par l’administration de ne pas s’acquitter de la TVA. Les plateformes qui ne prendront pas les mesures nécessaires à l’encontre de ces vendeurs, pourront alors se voir réclamer le versement de la TVA due par ces derniers.
Ce dispositif, dans un premier temps adopté par le Sénat, contre l’avis du gouvernement, avait ensuite été supprimé par l’Assemblée nationale. Le même scénario s’était déjà produit fin 2017, dans le cadre du projet de loi de Finances pour 2018. Une mesure comparable avait été introduite au Sénat contre l’avis du gouvernement, avant d’être finalement retirée à l’Assemblée. Ce rejet de la mesure s’appuyait notamment sur l’empilement des mesures prises ces derniers mois, tant sur le plan national qu’au niveau européen (avec le soutien français).
Cette fois, la majorité sénatoriale aura finalement eu raison de la position de la majorité présidentielle et de celle du gouvernement (cf. courrier de Bruno Le Maire adressé à la Fevad et rapport de la Commission des Finances de l’Assemblée nationale). Contre toute attente, la Commission mixte paritaire a en effet décidé de réintroduire la même mesure, à quelques aménagements près.
Quelles sont les plateformes concernées ?
Le texte s’applique uniquement aux grandes plateformes. C’est-à-dire celles dont le nombre de connexions dépasse le seuil prévu à l’Art 111-7-1 du Code de la Consommation. Ce seuil a récemment été fixé à 5 millions de visiteurs uniques par mois (pour plus d’information sur le seuil, nous consulter). Si la mesure est sensée s’appliquer quel que soit le lieu d’établissement de la plateforme, en pratique, son application aux opérateurs situés hors de France paraît très hypothétique. Enfin, la mesure concerne tous les vendeurs hébergés sur la plateforme, du moins jusqu’en 2021, date à laquelle entrera en vigueur la nouvelle directive européenne « TVA et e-commerce » (cf ci-dessous).
Concrètement en quoi cela consiste pour les plateformes ?
Le dispositif repose sur une logique dite de « notice and take down ». Il est inspiré du droit britannique. Il peut se résumer en un process à 3 étapes :
1ère étape : En cas de présomption de non-paiement de la TVA par un vendeur présent sur une plateforme, l’Administration fiscale pourra faire un signalement à la plateforme afin que celle-ci puisse prendre « les mesures de nature à permettre au vendeur de régulariser sa situation ». Les mesures en question devront être notifiées à l’Administration fiscale.
2ème étape : Si au bout d’un mois, à compter de la notification des mesures par la plateforme, ou à défaut de notification, à compter du signalement par l’Administration, les présomptions subsistent, alors l’Administration pourra mettre en demeure la plateforme de prendre « des mesures supplémentaires » ou, à défaut, de procéder à l’exclusion du vendeur.
3ème étape : En l’absence de mise en œuvre des « mesures supplémentaires » prévues à l’étape 2 ou d’exclusion du vendeur après un nouveau délai de 1 mois, à compter de la notification des mesures supplémentaires, ou à défaut de notification, à compter de la mise en demeure par l’Administration, alors la taxe sera due par la plateforme.
A partir de quand s’applique la nouvelle procédure ?
Dans la version sénatoriale, le texte prévoyait une entrée en vigueur au 1er janvier 2019. Fort heureusement, la date a été reportée au 1er janvier 2020. D’ici là, les modalités d’application devront avoir été définies par arrêté du Ministre en charge de l’Economie.
Comment cela va-t-il s’articuler avec le nouveau paquet européen TVA e-commerce ?
La nouvelle directive TVA e-commerce, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2021, a prévu de nouvelles règles applicables aux transactions réalisées via des plateformes. L’article 14 bis indique que pour les produits hors UE et dont le montant ne dépasse pas 150€, la responsabilité de la collecte de TVA locale auprès du client final repose sur la plateforme ayant facilité la transaction.
La loi anti-fraude précise que le dispositif prévu à l’article 11 cessera d’être applicable aux livraisons soumises à l’article 14 bis de la directive, dès la transposition de ladite directive.
Concrètement cela signifie que pour les vendeurs hors UE et pour les produits ne dépassant 150 €, la procédure de « notice and take down » cessera de s’appliquer. Cela paraît logique dans la mesure où la TVA sera alors automatiquement due par la plateforme (et non plus par le vendeur). La question de l’application ou non de l’article 11 pour les ventes hors UE de plus de 150€ reste à préciser.
Quel est l’impact attendu pour les plateformes concernées ?
Le texte comporte plusieurs zones d’ombre qui devront être clarifiées. La principale difficulté réside dans les notions de « mesures nécessaires » puis de « mesures supplémentaires » qui pourront être demandées par l’Administration aux plateformes. D’autant que, contrairement à la version du Sénat, c’est bien l’absence de mise en œuvre des « mesures supplémentaires » qui constitue l’élément déclencheur de la responsabilité solidaire de la plateforme. Il ressort en effet du texte que le fait de prendre les « mesures nécessaires » et de les notifier à l’Administration devrait suffire à échapper à la responsabilité solidaire. Reste à préciser le type de « mesures supplémentaires » qui pourront être exigées par l’Administration pour échapper au paiement de la TVA, sans avoir à exclure le vendeur. Des mesures qui devront également tenir compte les spécificités propres aux différents types de plateformes.
Une autre difficulté réside dans les conséquences d’une exclusion sur la base d’un signalement par l’Administration. Quelle sera la responsabilité de la plateforme si, après coup, il s’avère que le vendeur était en règle ?
Il appartiendra au Ministère de l’Economie d’apporter des réponses à ces questions dans le cadre des arrêtés. La FEVAD appelle donc à une large concertation avec les acteurs concernés dans le cadre de leur élaboration.
La mesure peut-elle être efficace sur le plan de lutte contre la fraude ?
La fraude à la TVA est un sujet important et il est donc parfaitement légitime que les pouvoirs publics s’en emparent. Ce type de mesure franco-française présente cependant un risque : celui de favoriser les plateformes situées hors de nos frontières et sur lesquelles, en pratique, l’Administration française ne dispose pas de pouvoir de contrôle. A l’heure où plusieurs sondages indiquent que la part des Français qui achètent sur des sites étrangers ne cesse d’augmenter, ce risque ne doit pas être négligé. C’est la raison pour laquelle la FEVAD a toujours soutenu la nécessité d’une approche européenne en matière de régulation des plateformes. Et qu’elle soutient aujourd’hui, dans son principe le projet de règlement européen sur les relations entre vendeurs et plateformes (Règlement P2B).
Quelle est la suite ?
La FEVAD va continuer de suivre les travaux autour du texte avec son Groupe de Travail Marketplaces. Elle va notamment demander aux pouvoirs publics à ce que les professionnels du secteur soient associés à la préparation des arrêtés.
Pour toute information nous consulter.