Lizee : “Profitabilité et durabilité sont un combo gagnant”

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Tanguy Frécon et Anna Balez, les deux cofondateurs, nous en disent plus sur Lizee, la start-up lauréate du concours Start Me Up, qui aide les marques à se lancer dans la location grâce à leur solution logistique et e-commerce.

Pouvez-vous décrire le service offert par Lizee ?

Tanguy : Lizee développe un SaaS, qui s’appelle le RMS, “Rental Management Software” (logiciel de gestion de location) qui permet aux enseignes de lancer un Front-end en quelques jours grâce à notre solution en marque blanche, pour offrir la location à leurs clients. Ceux-ci peuvent louer soit en “date à date”, soit en abonnement, soit à la demande (ils paient quand ils reçoivent, et la location s’arrête quand ils renvoient le produit).

Nous nous occupons ensuite de toute la logistique, la gestion des catalogues, la gestion des produits, et la gestion des commandes. Nous avons un partenaire qui stocke les produits de nos clients, les tague avec des puces RFID et les rentre dans notre solution, et utilise son propre WMS pour toute la partie stockage et gestion de préparation de la commande.
Ils utilisent notre RMS surtout pour la partie retours, avec des règles pour remettre un produit à neuf, pour le contrôle qualité, les points de contrôle, la réparation éventuelle, le nettoyage, le restockage… Plus le produit est loué, plus on récolte des données, plus les instructions vont évoluer. On a des algorithmes qui tournent et permettent d’affiner les règles de remise à neuf.

Donc on accompagne vraiment les marques sur tout la partie e-commerce, logistique et la gestion des flux locatifs entre les deux. La solution permet de retirer toute cette douleur logistique des marques pour qu’elles puissent tester le modèle de location en deux mois. Décathlon, on les a lancé en un mois et demi. Une fois que les KPIs sont prouvées, elles vont intégrer le Saas pour l’intégrer sur leur front e-commerce et leurs propres entrepôts.

Comment est né Lizee ?

Anna : J’avais monté il y a 6 ans, en 2013 la première start-up de location de vêtements pour enfants et pour femmes enceintes en Europe. On était les pionniers à l’époque. Depuis, la vision de la location de produits a bien changé. J’ai monté ça pendant 6 ans. J’ai eu un partenariat avec Patagonia : ils ont toute une gamme d’enfants qui est assez chère (150 euros pour un petit manteau en duvet en taille 6 mois). Dès qu’on envoyait la newsletter, dès le premier jour on avait 80 % du stock déjà réservé, car les gens avaient une grande confiance dans la marque Patagonia, comme on le voyait dans nos sondages. Je me suis rendu compte qu’il y avait quelque chose à faire sur la location pour des marques existantes, en utilisant la confiance que les gens ont dans les marques pour faire grandir ce business modèle. Moi j’ai l’expertise de faire de la location, anticiper les retours, réparer, remettre à neuf, gérer des abonnements… J’ai voulu me lancer en B2B, et assez vite on a eu notamment Décathlon, et c’est là que j’ai rencontré Tanguy il y a 2 ans dans le start-up Studio d’AirFrance.

Tanguy : Mon parcours est beaucoup plus B2B, retail tech, j’ai bossé pour différents éditeurs, notamment aux États-Unis pendant 5 ans, j’ai travaillé à Londres pendant 2 ans pour Microsoft pour les solutions retail, puis avec la start-up Wynd en tant que VP business et développement. Je suis passionné par les tech au service du retail, et je voyais bien l’impact que le retail avait sur l’environnement, je me suis intéressé aux business models d’économie circulaire, et c’est ainsi que j’ai été introduit à Anna qui m’a présenté l’opportunité de marché de la location, et on a cofondé l’entreprise en mars 2019.

Avec quelles marques travaillez-vous ?

Tanguy : On a fait des sondages : plus de 90 % des marques étaient intéressées par l’économie circulaire mais ne savaient pas comment l’adresser, leur e-commerce n’est pas fait pour ça (Magento…), les solutions qu’elles utilisent sont faites pour vendre, pas pour louer. Elles ont des entrepôts qui sont câblés pour préparer les commandes, les expédier, et pas réparer, restocker, … Ce sont des frictions qui les empêchaient de se lancer.
On a rejoint plusieurs accélérateurs “Fashion for good”, “Lafayette Plug & Play” et le RetailTech Hub à Munich où on a rencontré des marques. Ça a été un effet boule de neige, dès qu’on signe un grand groupe, on en a plein d’autres derrière. Les marques veulent avoir l’avantage du premier entrant : elles sont passées à côté de la seconde main, et ne veulent pas passer à côté de cet autre modèle.

Grâce au SaaS, qui sort en fin d’année, on aura la possibilité d’accompagner des jeunes marques également, mais on a quand même une approche avec les grands groupes qui sont ceux qui convertissent le mieux.

Quels sont les produits les plus adaptés pour ce modèle ?

Anna : Aujourd’hui, on reste sur l’Europe et on prévoit rapidement d’aller aux US. On a identifié 3 segments en Europe :

  • Le sport car on voit bien qu’on donne accès à des sports auxquels on n’aurait pas forcément pensé, la location permet d’essayer sans investir. C’est parfait pour les gens qui veulent tester ou faire tester à leurs amis. La location est fortement liée à l’expérience. On bosse avec Décathlon et d’autres marques arrivent sur ce segment.
  • L’enfant : le bébé, la maternité, les jouets, c’est un segment important. La seconde main est déjà très présente dans cet univers depuis très longtemps.
  • Le vêtement : aujourd’hui la fast fashion a gagné mais on peut faire de la fast fashion écolo car on peut consommer en échangeant les produits qu’on consomme. On porte les vêtements pour le plaisir de les porter et pas de les posséder ; par exemple dans ma garde-robe j’ai des vêtements minimalistes, et je loue les vêtements plus fun, pour lesquels je reçois beaucoup de compliments.

Tanguy : Il y a aussi des niches sur les vêtements de cérémonie, pour les mariages, cocktails…

C’est impressionnant le nombre de collections que les marques ont par an. Plus de 20 collections par an, il y a 60 % plus d’achats de vêtements depuis les années 2000, et 80 % des produits terminent dans la décharge. Ce sont des chiffres qui n’ont pas de sens.

En quoi est-ce intéressant économiquement pour les marques également ?

Anna : Ça fait vraiment du sens pour leur ROI. On comprend assez vite que plus on utilise le produit, plus leur marge augmente, à condition que ça soit bien fait, et c’est pour ça qu’on existe. L’exécution est vraiment importante ici, il faut une expérience sans couture. Typiquement, on peut multiplier par 2,5 la marge brute sur des produits qui ont une fréquence d’usage assez élevée. Au bout de 2 ans d’existence, ils peuvent multiplier par 2 voire par 3 le prix retail.

Non seulement elles vont gagner au niveau économique, mais elles vont aussi gagner en connaissance de leur produit : elles récoltent tellement de données qu’elles peuvent anticiper la durée de vie des produits. Elles vont pouvoir re-designer des produits pour les faire durer le plus longtemps possible, à l’opposé de l’obsolescence programmée. C’est un nouveau paradigme : comment augmenter les marges grâce à la durée de vie des produits. Nous sommes très enthousiastes sur ce sujet. Non seulement on réduit l’impact environnemental, mais en plus ils peuvent augmenter leurs marges. Tout le monde est vraiment gagnant.

Tanguy : En plus de cela, ça permet d’aller cibler les jeunes. Souvent les marques ont du mal à faire venir les jeunes dans leur point de vente, car ils achètent en ligne. Le modèle de location est fait pour eux : c’est un moyen de faire venir le client dans le point de vente. Si c’est un abonnement par exemple, ils peuvent donner l’option de récupérer un colis dans le point de vente, et les commerçants ont alors l’option de faire un upsale. C’est aussi un bon moyen de liquider des stocks.

À partir du moment où les marques ont un peu d’audace, et qu’elles comprennent qu’on ne peut plus faire du retail comme on l’a fait ces dernières années, c’est assez évident. On se positionne comme une solution qui leur permet de tester facilement le modèle sans investir des milliards upfront.

C’est un modèle qui représente des efforts logistiques importants – quels sont les impacts sur la logistique, et comment ça se répercute en coût et impact écologique ?

Anna : Le point noir de la location c’est la logistique : les e-commerçants n’ont pas l’habitude de traiter des retours en entrepôt. La vision de Lizee est claire : diminuer par deux la production d’objets neufs en industrialisant la réutilisation des objets. Nous sommes très ambitieux là-dessus.

Quand j’étais consultante en stratégie environnementale, je passais mes journées à faire des bilans carbone et des cycles de vie, donc c’est un sujet que je connais vraiment bien. On est en train de finaliser les calculs car on pense que ça peut aider nos clients à se projeter. C’est vrai qu’on transporte plus l’objet, mais on le transporte de manière plus optimisée. Il y a quand même moins d’impact négatif de faire une livraison par des points de relais qu’à domicile. Rien que sur le CO2 émis, si on fait toute l’analyse sur un produit textile, on divise déjà par 2 voire 3 l’impact sur le cycle de vie entier.

Mais là où il y a d’énormes impacts c’est dans la consommation d’eau. En fait, 80 % du problème du retail est au moment de la conception des produits, c’est là où se trouve la vraie pollution. Par exemple, il faut 1 tonne d’eau pour faire un t-shirt.
Nous lavons les produits à l’ozone donc on utilise très peu d’eau. Nous divisons par 10 voire par 20 sur certains produits qui se lavent très peu l’impact en eau.

Quel a été l’impact du Covid19 sur votre business ?

Tanguy : Au début, on était comme tout le monde : on se demandait à quelle sauce on allait être mangé. Assez rapidement, on a vu que la seconde main était en train de tirer son épingle du jeu : des plateformes comme Vinted n’ont jamais aussi bien marché (+8 % depuis janvier), donc on a eu la preuve que le consommateur n’a pas peur d’utiliser de la seconde main, même avec la barrière sanitaire.

On a eu de notre côté des taux de conversion hallucinants depuis le déconfinement sur certaines plateformes : +8 %, c’est un chiffre “ovni” en e-commerce. En moyenne, sur tout l’été on était sur des taux de 3 à 4 %, ce qui est vraiment élevé. On a aussi des marques qui viennent vers nous car elles ont énormément de marchandises qu’elles n’ont pas vendues, avec des lois circulaires en France qui les interdisent de les détruire. Les utiliser pour les louer est une super option pour les marques pour augmenter les marges, créer de nouveau flux financier, récupérer de la donnée sur le produit, cibler de nouveaux consommateurs.

Il y a aussi eu une accélération du pivot du consommateur : il était déjà plus soucieux de sa consommation avant la pandémie, et la crise a exacerbé cette tendance. Les consommateurs veulent consommer mieux, moins.

De plus, il y a aussi eu une accélération du e-commerce. Les consommateurs qui étaient réfractaires à l’achat en ligne n’ont plus eu le choix, et ils vont continuer d’acheter en ligne après la crise.

En 2021 et 2022, on va faire face à une crise économique sans précédent, car les états ne seront pas là pour financer les commerces. Les consommateurs vont devoir se serrer la ceinture, et pour avoir accès à des produits, la seconde main est évidemment un bon canal, mais la location aussi.

Anna : On peut ajouter aussi un élément générationnel. On voit bien que la nouvelle génération se retrouve dans la non-possession : avoir chez soi quelque chose qui a déjà été utilisé n’était pas si populaire avant pour l’image. Aujourd’hui, ils veulent avoir l’objet chez eux pour leur fonction et pas pour montrer qu’ils les possèdent. Il s’agit de plus en plus d’une expérience : ils vont prendre des photos Instagram pendant qu’ils l’ont et partager le moment.

Tanguy : C’est très vrai ce que dit Anna, et je pense que c’est vraiment la technologie qui a rendu la seconde main cool. Avant, la seconde main ce n’était pas cool, c’était la friperie du quartier. La technologie rend l’expérience de seconde main super cool. Ça a un côté “acte citoyen”, “feel good” car on a l’impression de participer à cette nouvelle économie qui fait du bien à la planète.