Nous avons interrogé Pierre-Emmanuel Saint-Esprit, directeur Economie Circulaire du groupe Manutan. Il a également co-fondé à 22 ans la start-up Zack, classée en 2020 dans le top 3 des meilleures entreprises françaises d’économie circulaire d’après le rapport “Tech For Good”. Il nous explique la vision du groupe Manutan international vis-à-vis de l’impact environnemental du e-commerce B2B.
1/ Pouvez-vous vous présenter, nous parler de votre parcours et de votre rôle au sein du groupe Manutan International aujourd’hui ?
Passionné d’économie circulaire, j’ai co-fondé la start-up ZACK à 22 ans en parallèle de mes études à l’ESSEC et à l’Université de Californie Berkeley pour lutter contre le gaspillage des produits électroniques. ZACK a été racheté par le Groupe Manutan en février 2022 pour aider ce dernier à devenir le distributeur européen B2B leader de l’économie circulaire.
En tant que Directeur Économie Circulaire, je suis désormais en charge pour l’ensemble du groupe de la définition de la vision stratégique sur l’économie circulaire, de la définition des objectifs circulaires (économiques, écologiques et sociétaux) et du lancement de nouveaux modèles économiques circulaires (collecte de produits usagés, location, réparation, offre de seconde main…).
Le groupe a décidé de faire de l’économie circulaire une priorité stratégique. Il s’agit désormais de l’orchestrer pour réduire considérablement l’impact environnemental des activités de Manutan et de rendre son modèle plus résilient.
2/ Quel est l’impact environnemental du e-commerce B2B en général et quelle est l’ambition du groupe Manutan International pour le réduire?
Nous avons réalisé un bilan carbone de nos activités. Ce qu’il est très intéressant de noter, c’est qu’il est faible sur les scopes 1 et 2 (les opérations de Manutan).
Notre impact en termes d’émissions de CO2 est avant tout lié aux produits que nous distribuons (à l’extraction des ressources naturelles qui les composent et leur production), soit notre scope 3. Par exemple, il faut savoir que 80 % de l’empreinte numérique de nos clients est liée aux produits électroniques utilisés par leurs collaborateurs.
C’est pour cela que pour Manutan, l’économie circulaire est clé pour avoir un impact concret et mesurable.
Dans cette perspective, l’objectif de Manutan est clair : de même que nous avons toujours voulu aider nos clients à réduire leurs coûts, nous allons désormais tout faire pour les aider à réduire leurs émissions de CO2 ! Pour y arriver, Manutan veut être un véritable animateur de son écosystème. L’entreprise veut ainsi sensibiliser ses clients, ses partenaires fournisseurs et ses collaborateurs aux alternatives de l’économie circulaire afin de mettre en place une conduite du changement vers un modèle BtoB durable dans lequel progrès, inclusion et transition écologique vont de pair.
3/ Quelles stratégies et quelles actions le groupe a-t-il mis en place pour un e-commerce B2B plus responsable ?
La stratégie de Manutan est tout d’abord d’agir sur l’amont en proposant à ses clients une offre de produits de plus en plus durables et en accompagnant ses fournisseurs dans cette optique (produits éco-conçus à partir de matières recyclées, produits d’occasion, produits reconditionnés).
C’est dans cette dynamique que Manutan a par exemple créé un bureau issu à 98 % du réemploi, intitulé « Séléné » en partenariat avec le groupe d’insertion professionnelle Arès. Avec 80 % d’émissions de CO2 et 26,89 kg de déchets évités comparé à la conception d’un bureau neuf, Séléné prouve qu’il est possible de faire du beau et du fonctionnel avec de l’ancien. Son prix compétitif, sa capacité de production et ses courts délais de livraison constituent de véritables atouts pour un produit issu du réemploi, une filière pour laquelle ces critères sont souvent compliqués à remplir.
Par ailleurs, Manutan accompagne aussi ses clients sur l’aval de l’utilisation des produits. C’est tout le sens de l’acquisition de la start-up ZACK en mars 2022, pionnière de la lutte contre le gaspillage. Cette opération permet de proposer désormais aux clients de Manutan de bénéficier d’un service de collecte et de revalorisation de leurs produits électroniques usagés !
4/ Quels sont vos principaux défis pour y arriver ?
Il est complexe de faire évoluer un modèle économique linéaire performant vers un modèle pluscirculaire par peur de perte de profitabilité, en particulier dans un contexte de crise et d’inflation. Cette évolution nécessite de la confiance dans l’économie circulaire sur le long terme !
Par ailleurs, nous évoluons dans un monde économique interdépendant : un changement économique d’un acteur majeur peut avoir des impacts sur tout un écosystème. Par exemple, pour que Manutan puisse distribuer des produits responsables, il faut que les fournisseurs les proposent et intègrent la circularité dans leur approche de production ! Or, nous observons pour le moment que l’offre de produits d’occasion ou reconditionnés est encore trop faible. Par ailleurs, comment se lancer dans une offre de réparation si la majeure partie des pièces détachées ne sont pas disponibles sur le marché ou que les produits ne sont tout simplement pas réparables ?
Le défi peut-être aussi juridique : quel régime de garantie et de responsabilité pour un produit de seconde main par comparaison à un produit neuf ?
En termes de marketing, quels arguments mettre en avant et de quelle manière pour que les clients se tournent vers les produits responsables ? Il ne s’agit pas uniquement de les rendre disponibles, mais qu’ils soient effectivement privilégiés par les clients pour que l’empreinte carbone soit réduite.
Bref, la route est longue mais le défi est passionnant ! Et nous n’avons plus le choix.