La règlementation européenne régissant les relations entre plateformes et utilisateurs professionnels (P2B) est désormais finalisée. Son application devrait être effective à compter du printemps 2020. Au niveau français, la Charte marketplaces/PMEs appelée de ses vœux par le Secrétaire d’Etat au Numérique et encouragée par le règlement P2B au sein de chaque Etat membre, devrait voir le jour à la fin du mois. On fait le point sur les implications de ces deux dossiers pour les plateformes d’intermédiation en ligne.
Près de 9 mois après la publication par la Commission européenne de sa proposition de règlement sur l’équité et la transparence pour les utilisateurs professionnels des services d’intermédiation en ligne, le Parlement, le Conseil et la Commission ont confronté leurs positions respectives dans le cadre d’un trilogue et ont abouti à un accord le 13 février 2019. L’adoption formelle devrait intervenir d’ici les élections européennes de mai et la mise en application prendra effet 12 mois après (soit courant avril/mai 2020).
Il s’agit du premier texte réglementaire européen axé sur les plateformes en ligne. De manière générale, la Fevad se félicite d’un retour à un contenu du texte plus équilibré, malgré les tentatives du Parlement européen de durcir les obligations vis-à-vis de ces acteurs. Le texte étant désormais stabilisé, cet article a pour objet de vous en détailler les principales dispositions décidées, en écho à la présentation précédemment dressée par la Fevad de la proposition initiale (Projet de règlement sur les relations entre plateformes et utilisateurs professionnels)
Champ d’application du règlement
Les types d’acteurs concernés par le règlement sont les plateformes de services d’intermédiation en ligne (places de marché du commerce électronique agissant pour le compte de tiers, boutiques d’applications, médias sociaux ouverts aux entreprises et outils de comparaison de prix) ainsi que les moteurs de recherche.
Les plateformes en ligne et moteurs de recherche rentrent dans le champ du règlement dès lors qu’ils fournissent des services à des entreprises établies au sein de l’UE et que les biens et services offerts par ces entreprises utilisatrices visent des consommateurs situés dans l’UE. Le règlement s’applique alors aux plateformes qu’elles aient leur siège social dans l’UE ou non.
Information et transparence
Les plateformes d’intermédiation en ligne sont tenues de fournir aux entreprises utilisatrices une information claire, transparente et accessible sur les conditions générales d’utilisation et de respecter un préavis de 15 jours pour leur notifier tout changement des conditions (article 3).
Une obligation d’information sur les motifs entraînant la restriction, la suspension, ou la clôture du compte d’un utilisateur s’impose désormais aux plateformes d’intermédiation et les entreprises utilisatrices auront la possibilité de contester cette décision en interne. Les plateformes devront en outre respecter un préavis de 30 jours en cas de déréférencement et conserver les données associées au compte de l’utilisateur en vue d’un rétablissement rapide en cas de fermeture par erreur (article 4). Le préavis de 30 jours ne s’applique pas en cas de manquements répétés aux conditions applicables et en cas de non-conformité à la règlementation en vigueur. A cet égard, le règlement liste les cas suivants : contenu illicite ou inapproprié, risque à l’égard de la sécurité d’un produit, contrefaçon, fraude, logiciels malveillants, violation de données, autres risques liés à la cybersécurité ou à l’adéquation du produit ou du service avec des mineurs (considérant 23).
Par ailleurs trois pratiques sont interdites par le Règlement P2B dans le cadre de la relation contractuelle : il s’agit de la modification rétroactive des termes du contrat, l’utilisation des données d’un vendeur après la fin du contrat, l’obstruction volontaire du droit à la résiliation du contrat par le vendeur. Cette liste précédemment qualifiée de « pratiques déloyales » a été sensiblement allégée, mais incorporée dans le corps du règlement (article 8) et non plus en annexe.
Classement
Les plateformes d’intermédiation en ligne et moteurs de recherche sont tenus d’informer sur les paramètres principaux de classement en vue de permettre aux entreprises utilisatrices d’optimiser leur présence (article 5), mais non pas sur le fonctionnement détaillé des mécanismes de classement et notamment des algorithmes (considérant 27). Le secret des affaires estpar ailleursmentionné explicitement comme étant à protéger (article 1. 5).
Les marketplaces qui offrent des biens en propre devront informer les entreprises utilisatrices de la manière dont elles traitent et classent leurs propres biens ou services par rapport à ceux des entreprises tierces. Les plateformes d’intermédiation en ligne et moteurs de recherche devront informer les entreprises utilisatrices des possibilités d’influer sur leur classement, par exemple en versant des commissions supplémentaires (article 5).
Accès aux données
Les plateformes sont requises d’informer les entreprises utilisatrices de l’utilisation faite des données recueillies sur elles ou les utilisateurs finaux, ainsi que du motif de partage éventuel de ces données à des tiers (article 9).
Les plateformes doivent également clarifier si un utilisateur professionnel a accès aux données générées dans le cadre de l’intermédiation (lors de l’utilisation des services d’intermédiation ou de la fourniture de ces services à l’utilisateur professionnel et aux consommateurs finaux) et, le cas échéant, à quelles catégories de données et dans quelles conditions se fait l’accès.
Règlement des litiges
Le Règlement P2B impose aux plateformes d’intermédiation de mettre en place un système interne de traitement des réclamations des utilisateurs professionnels et de publier annuellement une information sur le fonctionnement et l’efficacité de ce système (article 11).
La médiation entre plateformes en ligne et utilisateurs professionnels est également prévue par le texte. L’engagement dans le processus de médiation reste volontaire, mais les plateformes sont désormais tenues de proposer cette option aux entreprises utilisatrices et de fournir une liste d’au moins deux médiateurs (article 12).
A noter que les petites plateformes relevant de la définition de PME aux yeux de l’UE, c’est-à-dire comptant moins de 50 employés et réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 10 millions d’euros, sont exemptées de l’obligation de mettre en place un système interne de traitement des plaintes, et de l’obligation de désigner des médiateurs.
Mise en œuvre
L’Observatoire de l’Union européenne sur l’économie des plateformes en ligne (créé en avril 2018 sur décision de la Commission) est chargé d’évaluer l’application du règlement et de faire des propositions à la Commission en vue d’une adaptation si besoin.
Chartes nationales
Les Etats membres sont par ailleurs encouragés à élaborer des codes de bonne conduite régissant les relations plateformes – entreprises utilisatrices.
Ainsi que nous l’écrivions récemment (Les plateformes invitées à signer une charte Marketplaces / PME), cette démarche a déjà été entreprise en France, à l’initiative du Secrétaire d’Etat au Numérique Mounir Mahjoubi, qui avait rassemblé en décembre dernier les principales plateformes du e-commerce, ainsi que la Fevad et l’organisation représentative des PME, en vue de l’élaboration d’une charte de « bonnes pratiques ». Les acteurs autour de la table se sont entendus sur une démarche volontaire pour mieux encadrer et clarifier les relations avec leurs vendeurs, ainsi que partager les bonnes pratiques existantes au niveau des plateformes en la matière.
La Charte ne propose pas de modifier les clauses contractuelles existantes mais d’améliorer les relations qui en découlent. Elle porte sur la formalisation claire des engagements mutuels entre les deux parties, la garantie d’un échange ouvert, fiable et individualisé entre la plateforme et les entreprises utilisatrices à tous les stades de la relation commerciale et selon un processus d’escalade gradué (service client puis médiation), ainsi que sur la lutte contre la contrefaçon.
Une information par les plateformes signataires auprès de la DGE et du Médiateur des entreprises, portant sur les dispositifs et actions existants et mis en place pour répondre aux engagements de la Charte, est prévue six mois après la signature, de même qu’une rencontre pour dresser le bilan annuel et l’organisation d’un comité de suivi, dans une optique de progression dans la mise en œuvre de la Charte.
Dans un paysage français composé de multiples plateformes, par contraste notamment avec d’autres Etats européens, cette auto-régulation par le secteur, qui plus est avant l’application du règlement P2B, témoigne de l’importance que consacrent les plateformes aux bonnes relations avec les PMEs qui utilisent leur service d’intermédiation.
Les plateformes et places de marché en ligne qui souhaiteraient souscrire à ces engagements sont invitées à se rapprocher de la Fevad. La cérémonie de signature aura lieu fin mars et la liste des signataires sera rendue publique et alimentée au fur et à mesure des nouveaux signataires.