L’Entretien du Mois – Augustin MISSOFFE

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C’est en Chine en tant que consultant en optimisation des coûts qu’Augustin Missoffe débute sa carrière. Arrivé à Shanghai en 2010 pour un stage de fin d’étude, il intègre en 2012 le cabinet de conseil KLB, dont il prend la direction un an plus tard.

Fin 2014, changement radical. Attiré par le marketing mobile et le digital, Augustin saisit l’opportunité d’implanter l’agence lilloise Phoceis à Shanghai.

Au cours de ces 7 dernières années, cet expert en stratégie digitale a réussi à saisir la complexité du marché chinois pour accompagner efficacement les entreprises étrangères désireuses de pénétrer ce marché au potentiel énorme. Dans cette interview, il partage sa vision du pays qui attire toujours plus de regards et de convoitises.

Pouvez-vous nous en dire plus sur Phoceis ?

Phoceis est une agence lilloise présente sur le marché de la stratégie digitale et mobile en France depuis 2009. En tout, nous avons développé plus d’une centaine d’applications mobiles natives. Parmi les principaux clients de l’agence à Lille, il y a le géant Auchan. Lorsque le groupe a gagné une proposition commerciale en 2014, ils ont souhaité que Phoceis les accompagne à la conquête du marché chinois.

Depuis 2015, Phoceis Asia est donc installé à Shanghai, et si nous conservons le même ADN que l’agence de Lille, nous utilisons des outils différents, spécifiques au marché chinois. Nos deux principaux axes d’expertise sont l’amélioration du drive to store (via WeChat et toutes les solutions pour les retailers) et du digital in store (Offline-2-Online)

Nous accompagnons des groupes internationaux tels que Lancôme, AccorHotels, Beaujolais, ClubMed, DS Automobile, Ringier ou PSA dans l’élaboration de leur stratégie digitale en Chine. Mais ce n’est pas tout, nous aidons aussi les entreprises à cibler les touristes chinois en Europe. Par exemple, nous conseillons la ville d’Avignon sur WeChat pour attirer et faciliter la visite des touristes chinois, nous avons un partenariat avec Lagardère Travel Retail  dans l’aéroport de Rome, etc.

Quelles sont les caractéristiques spécifiques au marché chinois ?

Les services sont beaucoup plus matures et vont plus loin qu’en Europe. Prenez la réalité virtuelle (VR) pour le commerce. Ici, non seulement on en parle mais ca a déjà été lancé par Alibaba ! L’avantage de la Chine c’est qu’ici tout va très vite ; une non réussite n’est pas forcément signe d’échec. C’est ce dynamisme et cet état d’esprit qui permettent à la Chine d’avoir  5 ans d’avance en ce qui concerne le digital par rapport au reste du monde.

L’économie de partage y est très développée et nombreuses sont les startups (Mobike, Didi) qui construisent leur business modèle autour de ce concept.

Je suis également impressionné par la consommation frénétique des Chinois ; ils ont de plus en plus d’argent et veulent consommer. Toutes les occasions sont bonnes ! Et lorsqu’ils veulent quelque chose, ils le veulent tout de suite. La rapidité d’exécution est primordiale pour les entreprises.

Enfin, le marketing en Chine est totalement différent : ici on fait du storytelling !

Quelles sont les tendances majeures que vous observez en Chine concernant l’e-commerce et le retail ?

La plus grosse disruption pour l’e-commerce et le retail, c’est la puissance du mobile ici en Chine. L’usage des téléphones a pris une place sans précédent dans les interactions entre les marques et les consommateurs.

Je sépare souvent le monde en deux : la Chine et le reste du monde.

D’un côté, vous avez Baidu, Alibaba et Tencent (BAT) qui ont développé un écosystème de services incroyable facilitant la vie des consommateurs à tous les niveaux et accessible depuis votre mobile. Intégration des payements, système de livraison extrêmement rapide (il me faut 8 minutes pour être livré par McDo), amélioration de la relation avec le retailer qui est pleinement intégré dans l’écosystème (O2O), si bien qu’en un clic le consommateur obtient ce qu’il désire, avec une précision et une rapidité remarquables.

De l’autre, Google, Amazon, Facebook et Apple (GAFA), et une économie qui se redéfinit autour de l’ubérisation. Le retailer est exclu pour que le consommateur soit directement mis en contact avec le producteur.

Parmi ces tendances, lesquelles sont susceptibles d’impacter / de disrupter l’e-commerce et le retail en France ?

En France, c’est différent, on n’est pas sur les mêmes usages et l’adoption de nouvelles stratégies est beaucoup plus difficile en Europe à cause des nombreuses réglementations. En Chine, il est courant qu’un consommateur commande un même produit en 5 tailles différentes puis renvoie les quatre produits qui ne lui vont pas. Evidemment, le renvoi d’articles est très efficace et simple, contrairement au système Français !

Malgré tout, l’influence chinoise va se faire ressentir sur l’e-commerce et le retail avec l’arrivée des géants chinois en Europe. Alibaba arrive en France, et Tencent a choisi l’Italie et le Royaume-Uni pour déployer ses solutions de paiements.

Un autre point dont la France va pouvoir s’inspirer d’un point de vue du e-commerce et du retail est la multiplication des stratégies O2O. Imaginez-vous arriver dans un magasin, acheter plein des produits et pouvoir continuer vos achats car ces derniers vous seront livrés le jour même ! La Chine est en train de repenser profondément la relation que les marques ont avec le consommateurs afin d’intégrer le digital dans la relation physique traditionnelle.

Quel(s) conseil(s) pouvez vous donner aux e-commerçants et retailers français pour rester compétitifs ?

–       Se faire accompagner : le marketing en Chine n’a rien à voir avec le marketing en France. Le fossé culturel est si grand qu’il est impossible de le gérer depuis un autre pays.

–       Être présent sur WeChat : cette plateforme chinoise, qui compte 938 millions d’utilisateurs actifs mensuels, a développé un univers particulier et complet, redéfinissant le mode de fonctionnement et d’interaction des marques.

–       Challenger sa façon de penser : pour s’implanter en Chine, il faut tout oublier et réapprendre car ce ne sont pas du tout les mêmes codes. On dit souvent qu’en Chine on pleure 100 fois dans la même journée et on rit 100 fois dans la même journée. Il faut constamment repenser son modèle d’affaires, son mode de fonctionnement. C’est palpitant !

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