Interview du mois – René Cotton, Directeur Général chez WiziShop Group

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1/ Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis co-fondateur ainsi que directeur général de WiziShop, Dropizi, Evolup et Pizi. Mon parcours s’articule autour de la conception de logiciels et de l’Intelligence Artificielle (IA), deux domaines qui me passionnent depuis mes études. Après avoir obtenu mon master en Ingénierie de l’Internet et du Multimédia à la faculté de Toulon (Ingemedia), j’ai pu mettre à profit ces compétences pour développer des solutions toujours plus innovantes au sein du groupe WiziShop.

Je m’implique dans la recherche et l’implémentation de nouvelles technologies afin de rendre la création et la gestion de boutiques en ligne plus accessibles, ergonomiques et performantes. C’est cette approche qui nous a permis de faire évoluer la plateforme WiziShop, mais aussi de lancer des solutions complémentaires comme Dropizi, Evolup et Pizi. Mon rôle consiste non seulement à définir la stratégie technologique de l’entreprise, mais également à assurer sa bonne exécution, en veillant à ce que nos produits restent à la pointe de l’innovation.

En parallèle, je parcours régulièrement la France et l’Europe pour donner des conférences sur l’IA et l’e-commerce, partager mes expériences et découvrir de nouvelles perspectives sur l’e-commerce. Dans la même optique, je tiens une newsletter dédiée à l’Intelligence Artificielle pour informer et sensibiliser un public toujours plus large aux usages et aux enjeux de cette technologie. Mon objectif est de démocratiser l’IA et de montrer comment elle peut être un formidable levier de croissance pour les e-commerçants, tout en respectant les contraintes éthiques et réglementaires qui encadrent son développement.

2/ Les ventes sur mobile progressent dans le paysage du e-commerce français. Comment les entreprises peuvent-elles optimiser leur parcours d’achat spécifiquement pour mobile ?

Pour optimiser un parcours d’achat sur mobile, il faut comprendre que l’expérience mobile ne doit pas être considérée comme un simple dérivé de l’expérience depuis un ordinateur. Les utilisateurs qui naviguent sur leur smartphone le font souvent dans des contextes de mobilité ou de temps fragmenté (transports en commun, files d’attente, etc.). L’enjeu consiste donc à proposer un parcours rapide, intuitif et réduire au maximum les frictions pouvant gêner la progression de l’utilisateur vers l’achat.

Dans cette optique, la première étape est de concevoir un site en pensant « mobile-first », en privilégiant la navigation sur petit écran et en optimisant le temps de chargement. Les informations clés, comme les visuels et le prix, doivent être immédiatement visibles, tandis que les pages produit, de catégorie ou d’accueil doivent charger rapidement pour éviter tout risque de découragement. La phase de paiement représente également un point critique : elle doit être la plus courte et la plus simple possible, avec des champs de formulaire limités et l’autocomplétion lorsque c’est pertinent. L’objectif est de garantir une expérience fluide et sécurisante, afin d’accompagner l’utilisateur jusqu’à la validation finale de son achat.

Au-delà de la structure du site, proposer des options de contact ou d’assistance immédiatement accessibles fait la différence. Sur mobile, l’utilisateur aura moins de patience pour chercher un numéro de téléphone ou un outil de chat en direct. Lui offrir un accès facile au service client et des informations claires sur les produits (caractéristiques, avis, conseils d’utilisation) peut considérablement augmenter la confiance qu’il accorde à votre marque. Cela permet d’améliorer le taux de conversion, en particulier sur un support perçu comme plus incertain pour l’acte d’achat.

3/ Quelles sont les principales erreurs que vous observez dans la conception des sites mobile des e-commerçants ?

La première erreur souvent constatée réside dans la complexité de la navigation, notamment lorsque le menu n’est pas repensé pour le petit écran. Les utilisateurs se retrouvent alors face à des sous-menus multiples ou mal hiérarchisés, ce qui nuit à leur capacité de trouver rapidement les informations dont ils ont besoin. Dans le même ordre d’idées, un temps de chargement excessif, dû à un manque d’optimisation des images ou à des scripts trop lourds, peut faire fuir dans les premières secondes, surtout avec une connexion limitée.

On observe aussi que certains sites se contentent d’une simple version réduite de la page desktop, sans réelle adaptation aux usages mobiles. Les polices, images et formulaires ne sont pas toujours redimensionnés correctement, obligeant l’utilisateur à zoomer ou à faire défiler la page dans tous les sens pour accéder à l’information. À cela s’ajoutent souvent des formulaires trop longs ou non adaptés à la saisie sur écran tactile. Une absence de validations claires ou d’autocomplétion entraîne alors des erreurs répétées, ce qui accentue le phénomène d’abandon de panier.

Enfin, de nombreux e-commerçants ne testent pas suffisamment leur site auprès d’utilisateurs réels. Cette phase de test est pourtant cruciale pour identifier rapidement les points de friction et les imprévus (bug d’affichage sur certains modèles de smartphone, manque de clarté dans le processus de paiement, etc.). Sans ce retour d’expérience, il devient difficile de repérer les améliorations concrètes à apporter pour offrir une expérience mobile réellement satisfaisante.

4/ Les applications marchandes sont-elles toujours pertinentes face aux sites mobiles optimisés ? Quels critères pour choisir entre les deux ?

Les applications marchandes conservent leur pertinence dans certains cas précis. Lorsqu’une enseigne ou un service s’adresse à des utilisateurs très réguliers, qui passent fréquemment commande ou consultent quotidiennement leurs offres, une application native peut grandement simplifier l’accès et permettre des fonctionnalités avancées (notifications push, géolocalisation, accès hors ligne à certains contenus, etc.). Cela offre aussi une expérience souvent plus réactive et personnalisée, en bénéficiant des ressources internes du smartphone comme l’appareil photo ou le stockage local.

Toutefois, si le public visé est plus occasionnel, un site mobile parfaitement optimisé (responsive, rapide, bien référencé) s’avère plus accessible. Il ne requiert aucune installation préalable et touche immédiatement un public plus large, puisque dans la grande majorité des cas les clients viennent d’une recherche en ligne. D’un point de vue budgétaire, le développement et la maintenance d’un site mobile sont généralement moins coûteux que ceux d’une application, surtout si cette dernière doit être proposée sur plusieurs plateformes (iOS et Android), avec leurs mises à jour respectives.

5/ Le paiement mobile peine encore à décoller en France contrairement à d’autres pays. Quels sont les freins spécifiques au marché français ?

Le premier frein majeur se situe au niveau de la perception de la sécurité. Beaucoup de Français associent encore le paiement via smartphone à un risque accru de fraude ou de vol de données, quand bien même les technologies actuelles (authentification biométrique, tokenisation, etc.) offrent des garanties très fiables. Cette méfiance envers le numérique s’illustre d’ailleurs dans d’autres domaines, comme la protection des données personnelles, ce qui influe sur la vitesse d’adoption des nouveaux services financiers.

Un second facteur réside dans des habitudes de paiement fortement ancrées. La carte bancaire, en particulier le paiement sans contact par carte, est devenue la norme dans la plupart des commerces, supplantant en grande partie l’argent liquide. Les consommateurs ne perçoivent pas toujours la valeur ajoutée du paiement mobile, qu’ils jugent redondant ou peu différent des solutions existantes. De plus, le faible effort de sensibilisation et d’accompagnement de la part des banques et des acteurs de la fintech ne contribue pas à faire évoluer les mentalités.

Enfin, le cadre réglementaire strict (notamment avec la réglementation sur la protection des données et la lutte contre la fraude) peut ralentir la mise sur le marché de nouvelles solutions de paiement. Les coûts liés à la sécurisation des transactions et à la mise en conformité sont parfois élevés, limitant ainsi la diversité et la visibilité des offres de paiement mobile. Ce phénomène entretient un cercle vicieux : sans un écosystème riche et reconnu, les consommateurs hésitent à franchir le pas, et les fournisseurs de services d’innovation ne voient pas forcément la France comme un marché prioritaire.

6/ Comment voyez-vous évoluer les interfaces de shopping sur mobile dans les 2-3 prochaines années ? Quelles innovations technologiques vont émerger ?

Dans les années à venir, les interfaces mobiles devraient se caractériser par un degré de personnalisation toujours plus poussé, rendu possible par les avancées en intelligence artificielle et en analyse de données. Les algorithmes seront capables de détecter les préférences individuelles de chaque utilisateur et de proposer des recommandations très ciblées, en tenant compte de ses habitudes de navigation, de son historique d’achats, de sa localisation ou même de la météo. Cette hyper-personnalisation, déjà amorcée, devrait se généraliser et affiner les suggestions de produits, les offres promotionnelles et l’assistance client.

On peut également s’attendre à voir la réalité augmentée se déployer plus largement sur les sites et applications mobiles. Certains secteurs comme la mode ou l’ameublement ont déjà entamé cette transition, proposant aux utilisateurs d’« essayer » virtuellement un produit (lunettes, maquillage, canapés, etc.) avant de passer commande. Cette fonctionnalité contribue à réduire les incertitudes liées à l’achat en ligne, ce qui améliore le taux de conversion et limite le nombre de retours produits.

Parallèlement, l’émergence de l’IA générative va transformer en profondeur le paysage du e-commerce. Les outils, inspirés par des technologies du type ChatGPT, seront capables d’entretenir un véritable dialogue en langage naturel avec l’utilisateur, que ce soit pour le guider dans sa recherche de produits, créer des descriptions adaptées à ses centres d’intérêt ou offrir une assistance client ultra-réactive. Les chatbots, qui existent déjà et souffrent d’un déficit d’image, deviendront plus interactifs et personnalisés, et pourraient même proposer des recommandations en se basant sur un historique d’achats croisé entre plusieurs plateformes.

Globalement, le mobile va encore plus s’imposer comme le canal principal de l’e-commerce, avec une volonté continue d’améliorer l’expérience de navigation, de sécuriser davantage les transactions et de proposer des parcours d’achat plus immersifs. Les entreprises qui sauront tirer parti de ces innovations technologiques, tout en restant à l’écoute des attentes clients, se positionneront en leaders sur un marché toujours plus concurrentiel et exigeant.