À 28 ans seulement, Emna Everard est la fondatrice et dirigeante de la start-up belge Kazidomi, qui propose un modèle d’abonnement à la livraison de produits sains. Kazidomi a déjà conquis le cœur de dizaines de milliers d’abonnés en France et en Belgique et double son chiffre d’affaires chaque année.
1/ Bonjour Emna! Pouvez-vous nous en dire plus sur le modèle de Kazidomi et pourquoi avoir lancé cette plateforme ?
Emna : Kazidomi a été à la fois un projet dont je rêvais depuis longtemps et ma première expérience professionnelle, dans laquelle je me suis lancée à la sortie des études il y a 4 ans et demi. Je suis née dans une famille de parents médecins, spécialistes de tout ce qui est prévention, nutrition, sport, aromathérapie, etc. Je viens donc d’un milieu où on encourage l’alimentation la plus saine et naturelle possible. Mes parents m’expliquaient pourquoi les additifs étaient mauvais pour la santé, pourquoi un excès de sucre pouvait entraîner des maladies, un risque d’obésité, etc. Très jeune, je me suis demandé pourquoi mes camarades de classe et les gens autour de moi consommaient des produits mauvais pour leur santé. Je me disais qu’ils étaient inconscients de consommer des produits qui allaient leur attirer des soucis de santé. Je me suis rendu compte que ce n’était pas leur faute, que ce n’était en fait pas évident et que ce n’est toujours pas évident aujourd’hui de savoir où trouver la bonne information. On se fait beaucoup bassiner par du “green washing”. C’est ce qui m’a donné envie de permettre aux gens qui n’ont pas forcément de connaissance sur ce qu’est une alimentation saine de pouvoir faire leurs courses les yeux fermés. Sur Kazodomi, tous les produits ont été sélectionnés sur base de leur composition nutritionnelle. Nous ne faisons pas de compromis, quitte à dire non à des marques populaires sur lesquelles nous pourrions faire de bonnes marges. On fait cette promesse au consommateur. Ça a été la première mission et ambition de Kazidomi.
Au bout de 8 mois, les retours des consommateurs ou des personnes qui n’achetaient pas sur le site indiquaient que c’était cher de consommer sainement, d’acheter tous ses produits bio. Ça m’a révolté que seules les personnes qui ont les moyens ont accès à ce type d’alimentation. En réalité, à long terme, ça coûte moins cher car ça prévient les maladies, mais les gens qui ne les consomment pas voient surtout le prix à court terme. Baisser les prix n’était pas possible car la plupart des fournisseurs ont des prix de vente recommandés et veulent qu’ils soient respectés. J’ai donc réfléchi à une solution innovante et j’ai mis en place une carte de fidélité payante et un abonnement annuel qui donne droit à une réduction sur chaque produit consommé. Les clients sont donc encouragés à faire toutes leurs courses sur Kazidomi pour rentabiliser leur abonnement, ce qui augmente la taille du panier moyen et la fréquence d’achat, et ça les encourage à ne pas abandonner leurs bonnes résolutions de manger sainement vu qu’ils sont engagés pendant minimum une année. En contrepartie, on attire plus de personnes et ils sont très fidèles, ce qui permet de faire du volume et d’avoir accès à des prix plus intéressants, et requiert aussi moins d’investissements en marketing pour faire revenir les consommateurs.
2/ À quel stade de développement en êtes-vous et quelle est votre vision pour Kazidomi dans le futur ?
Emna : Nous sommes présents pour l’instant essentiellement sur le marché francophone en France et en Belgique, et nous nous lançons sur le marché néerlandophone, en Hollande et en sur la partie néerlandophone de la Belgique. Notre objectif est d’aller chaque année conquérir le cœur de nouveaux européens, ce qui représente des efforts pas uniquement en marketing mais aussi l’adaptation du catalogue, la langue, etc. Il faut comprendre les habitudes alimentaires, le niveau d’éducation par rapport aux produits sains et bios, les acteurs déjà présents sur le marché, etc.
La vision à terme est clairement de devenir l’acteur leader en Europe des produits sains pour le corps et aussi pour l’environnement. On prône la santé mais aussi le respect de la planète et les choix qui sont dirigés vers un meilleur mode de vie qui est plus respectueux de l’environnement.
Il n’y aura pas photo, d’ici 50 ans, vu les circonstances actuelles de la montée en puissance des maladies qui sont liées à la manière dont on consomme, et vu l’impact sur l’environnement, il va y avoir un besoin de changement des modes de consommation. Nous voulons accélérer ce changement dès aujourd’hui, et c’est le rôle que nous nous donnons. Le rêve est que les marques à terme adaptent également leurs produits pour pouvoir vendre sur notre plateforme.
3/ Les supermarchés proposent également de plus en plus d’options saines et qui sont désormais accessibles à la livraison en ligne. Que propose Kazidomi pour se démarquer ?
Emna : Pour l’instant, il n’y a pas d’autre plateforme qui mette la santé au cœur de ses priorités. Aujourd’hui, les supermarchés le font car ils s’adaptent à la tendance mais ils continuent de vendre également des produits ultra-transformés. Tu ne peux pas faire tes courses dans un supermarché les yeux fermés comme tu peux le faire sur Kazidomi. Un deuxième aspect est l’aspect pratique : sur Kazidomi, on est livrés dans les 24 heures, il n’y a pas besoin de se déplacer.
Enfin, le troisième aspect est la personnalisation : c’est indispensable de personnaliser l’expérience d’achat et de montrer aux consommateurs qu’on s’y intéresse et de proposer des produits adaptés à leurs besoins. Une personne vegan ne va pas chercher la même chose qu’une personne de 60 ans qui ne peut pas consommer certains produits et a des carences en magnésium. On voudrait pousser cette personnalisation à l’extrême.
Pour l’instant, nous avons des filtres sur chaque catégorie : les consommateurs ont ainsi accès aux produits qui correspondent à leurs critères. Dans le futur, l’idée est d’avoir un quizz pour chaque nouveau membre, et qui nous permettrait via des algorithmes de recommandation de mettre en avant des produits qui leur correspondent d’avantage.
4/ Proposez-vous des produits frais ?
Emna : Non, pour des raisons de logistique mais surtout écologiques. Si on veut livrer depuis un seul entrepôt dans toute l’Europe, ça devient très complexe et pas écologique. Par exemple, si un consommateur se fait livrer des tomates d’Italie, les tomates arriveront dans l’entrepôt pour repartir en Italie. On encourage plutôt à consommer les produits frais localement. Tandis que les produits secs, c’est beaucoup plus difficile de les consommer localement, car il y a généralement beaucoup d’ingrédients qui viennent de l’étranger. Par exemple, notre “best seller” est le lait de coco qui n’est pas produit en Europe.
5/ Quel a été l’impact de la crise Covid19 sur votre business ?
Emna : La crise a plutôt accéléré notre business : on a conquis le cœur de plus de clients, d’une part car ils ont été obligés de se tourner vers le e-commerce, et d’autre part car la crise a engendré une prise de conscience vers une consommation plus saine et plus respectueuse de l’environnement, ils se sont rendu compte qu’on était à l’abri de rien.
À long terme, nous pourrions faire face à une concurrence plus rude par contre. Les supermarchés ont enclenché un développement plus rapide de leur e-commerce. D’où l’importance pour nous de nous positionner sur le créneau de la santé et d’avoir des valeurs fortes pour nous démarquer.
6/ Comment avez-vous vu évoluer le e-commerce pour les produits alimentaires en Europe et dans le reste du monde, notamment suite à la pandémie, et comment le voyez-vous évoluer dans les prochaines années ?
Le e-commerce dans l’alimentaire est en pleine croissance, et ça va plus vite à certains endroits que d’autres. En général, la Belgique et la France sont plus à la traîne que d’autres pays comme les USA, l’Angleterre, la Hollande. Les traditions sont bien ancrées et c’est difficile de faire changer les habitudes. Mais depuis la pandémie, c’est devenu incontournable, et les gens se sont tournés vers le e-commerce peu importe leur âge. Tous les chiffres sont en hausse, et je m’attends à ce que ça continue, mais je ne pense pas qu’on va aller vers du 100 % e-commerce car les gens recherchent encore le contact, et pour certains produits il reste utile d’avoir une discussion avec le vendeur, ou de voir le produit. Je suis convaincue que l’omnicanal a une grande force, et c’est pour ça que la plupart des acteurs ne ferment pas leurs magasins physiques même s’ils se tournent vers le e-commerce.
7/ Avez-vous l’intention de passer au offline également, pour avoir une stratégie plus omni-canale ?
Avant le Covid-19, on voulait faire un popup store, mais aujourd’hui on a mis le projet entre parenthèses. Nous voudrions tester, voir comment le marché réagit. Cela pose beaucoup de questions (est-ce qu’on ajoute du frais, comment gérer la logistique) et représente un investissement important. Je pense que le sujet reviendra sur la table d’ici 2 ans.